2005-04-21 / Le Soleil / Richard Boisvert
Franz-Paul Decker n’a pas dit son dernier mot
Il y a de cela près de deux ans, au moment de régler les détails du concert qu’il dirigeait hier soir, Franz-Paul Decker avait, paraît-il, évoqué la possibilité de faire à cette occasion ses adieux au public de Québec. Un communiqué publié sans doute en toute bonne foi par l’OSQ soulignait récemment le caractère solennel de cet ultime rendez-vous. Apparemment, la chose a failli virer à l’incident diplomatique. Il se trouve en effet que le chef d’orchestre a changé d’avis et que, à 81 ans, il se sent suffisamment d’énergie pour prolonger sa carrière pendant encore quelques années.
Mæstro Decker a donc commencé la deuxième partie du concert par une savoureuse mise au point. « Il y a deux personnes qui décident s’il s’agit de mon dernier concert, c’est moi et le bon Dieu ! » a-t-il lancé devant la salle remplie à craquer. Sa sortie a été chaleureusement saluée par des rires et des applaudissements. Du reste, il n’y avait qu’à le voir s’installer aux commandes de l’orchestre pour comprendre que le grand maître a encore tout ce qu’il faut pour l’inspirer.
Dans les œuvres de Richard Strauss, qu’il lance d’une poigne vigoureuse et ferme, il mène l’OSQ vers des sommets d’une étonnante expressivité. Tel un sculpteur, il fait surgir des lignes pleines de chaleur et de sensualité. Et, quand apparaît le rythme à trois temps de la valse, il devient chef et danseur tout à la fois, montrant aux musiciens la voie de la rigueur tout autant que celle de l’abandon. Il faut voir avec quel panache et quelle noblesse il y parvient ! Il faut également noter la contribution du violon solo Darren Lowe, qui s’exprime avec le tempérament d’un grand soliste.
Avant l’opulence et l’exubérance presque délirante de Strauss, Franz-Paul Decker a, en première partie, servi magistralement deux pages de Mozart, la Symphonie no 36 en do majeur, « Linz », et le Concerto pour piano no 23 en la majeur. Dans la première, la fascinante autorité de son geste conduit l’orchestre, joyeusement docile, à soigner son jeu. Les violons dessinent des lignes nettes qui chantent magnifiquement, toutes pénétrées de l’esprit qu’y insuffle le chef. Le discours musical s’écoule dans une totale fluidité.
Angela Hewitt, dont la lumineuse présence n’a d’égale que la grâce, se lance ensuite dans le concerto avec l’élan et la transparence qu’on lui connaît, en cherchant à ne faire qu’un avec l’orchestre. Au cours du deuxième mouvement, on relève la perfection avec laquelle clarinette et flûte s’échangent la mélodie.
Du Mozart comme celui-là, on en écouterait toute une vie sans s’en lasser. Voilà pourquoi il faut prier le ciel pour qu’il prolonge celle de M. Decker.