Messiaen in Montreal

2011-09-15 / La Presse / Claude Gingras

L’événement le plus attendu, après l’ouverture de notre nouvelle salle, n’a pas tardé à se produire : c’est la Turangalîla-Symphonie de Messiaen telle que montée par Kent Nagano et l’Orchestre Symphonique de Montréal augmenté à plus de 100 musiciens.

Par sa longueur démesurée (10 mouvements et 429 pages de partition totalisant, dans le cas présent, 76 minutes), par les gigantesques effectifs requis (l’orchestre au grand complet assorti d’un omniprésent piano-percussion, d’un clavier de sifflantes Ondes Martenot et d’un considérable arsenal de percussions exotiques) et, surtout, par le véritable ouragan d’événements de toutes sortes qui s’y déroulent en même temps – bref, pour toutes ces raisons, et probablement d’autres encore, la Turangalîla-Symphonie est très certainement la création musicale la plus extravagante du répertoire orchestral tout entier.

J’entends encore Messiaen m’indiquer la prononciation exacte du titre : «Tou-rân-gheu…li…lâ». Toronto, 1967. Le compositeur était venu superviser l’enregistrement de Seiji Ozawa et le Toronto Symphony. Il avait ajouté : «Ce titre est un mot sanscrit qui symbolise le dynamisme et la vie. Mon oeuvre est un chant d’amour et un hymne à la joie.»

Peu importe que la Turangalîla-Symphonie soit ceci ou cela. Messiaen la composa sur une commande du Boston Symphony, qui la créa sous la direction de Leonard Bernstein en 1949. Ignorons les inconditionnels de Messiaen aveuglés par son «mysticisme». Sachant soigner sa clientèle, notre «saint homme» avait fabriqué là une machine énorme, multicolore, tapageuse, délirante, bougeant tel un gros carrousel, comique aussi par ses échos de Gershwin et de Broadway. On imagine facilement le plaisir de «Lenny» et des Bostoniens!

Un plaisir que, loin de le refuser, je retrouve chaque fois que je réécoute la Turangalîla. Dutoit l’avait donnée deux fois à l’OSM (en 1984 et en 2000). Nagano l’a choisie pour fêter l’entrée dans la nouvelle salle et en tester du même coup l’acoustique, peut-être aussi pour mesurer le degré de tolérance de son public face à la musique la plus excessive. Sur ce dernier point, une seule observation: il était amusant de voir des gens sortir après chaque mouvement. La quasi-totalité de l’assistance — salle presque comble — a bien écouté et ovationné avec un évident bonheur.

Dans l’ensemble, ce fut une impressionnante réussite quant à la précision du jeu, la richesse des timbres, la coordination rythmique et l’équilibre des masses sonores. Nagano n’a pas fait oublier certaines longueurs et il a un peu effleuré les quelques épisodes calmes et poétiques. Angela Hewitt traversa avec une prodigieuse maestria l’effrayante partie de piano et Jean Laurendeau fut, comme lors des deux exécutions précédentes, l’impeccable interprète aux Ondes Martenot.

Pourtant très claire, la nouvelle acoustique n’a pas restitué absolument tout ce qui se passait. Ainsi, on perdait le piano dans certains passages particulièrement chargés. Des ajustements à poursuivre là aussi.

À la sortie, Joshua Bell et son violon étaient déjà bien loin. La Méditation de Tchaïkovsky et le Concerto de Glazounov correspondent à son niveau limité d’interprète. La salle reproduisait parfaitement sa sonorité crémeuse mais aussi ses moindres écarts de justesse.